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Paroles

Danielle Toupillier

Médiatrice Nationale pour les conflits dans des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux

Après avoir été directrice d’hôpital et occupé différents postes à responsabilité au sein de la Direction des Hôpitaux devenue la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) du Ministère de la Santé, Danielle Toupillier a été nommée Médiatrice nationale en octobre 2021. Elle a pour mission de promouvoir et de développer les dispositifs de résolution amiable des conflits dans les établissements publics sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

L’hôpital est-il un milieu plus « conflictuel » que d’autres?

Toute organisation sociale subit invariablement des conflits et le monde du travail n’échappe pas à cette règle. Selon une étude de la DARES de 2016, un tiers des salariés français déclare avoir subi au moins un comportement hostile dans le cadre de leur travail. Dans la fonction publique Hospitalière, selon l’échantillon retenu, ce taux serait ramené à un niveau plus bas 18%, même s’il est vrai que le secteur sanitaire et médico-social est sujet au risque en raison de ses caractéristiques très particulières. D’abord, c’est une organisation complexe et importante (4 500 établissements, 1,2 million de professionnels), qui a la spécificité de fonctionner 365 jours par an et 24h/24. Les temps sont, par définition, désynchronisés entre les grandes familles de métiers alors que l’activité, dans son ensemble, est basée sur le travail d’équipe. Ensuite, c’est un monde chargé d’émotions dans lequel les personnels sont confrontés à la maladie, à la souffrance mais aussi à la mort alors qu’eux-mêmes connaissent parfois des difficultés personnelles. Par exemple, il y a un certain nombre de familles monoparentales notamment parmi les paramédicaux, ce qui est parfois difficile à combiner avec l’exigence de l’organisation du travail sur un rythme continu.

Un autre élément caractéristique du milieu médical en particulier, c’est l’esprit de compétition qui est présent dès le concours d’entrée dans les études de médecine et qui se poursuit avec le classement aux épreuves de l’internat qui va conditionner le choix de la spécialité et de la ville universitaire d’affectation. Il n’y a pas vraiment de temps de transition entre le cursus de formation, où il faut être le meilleur, et l’entrée dans la vie active, où il faut apprendre à travailler en collectif. De même, il s’agit d’un environnement qui a longtemps été très vertical alors qu’il faut apprendre de plus en plus à évoluer vers un travail transversal. Traditionnellement, à l’hôpital, un professionnel avait coutume de dire « Je travaille dans tel service ou dans le service du Professeur X ou du Docteur Y », c’est-à-dire que l’identité professionnelle se construisait davantage à partir de la spécialité ou du service d’appartenance plus qu’en référence à l’établissement d’affectation. Cela a sans doute abouti à plus de cloisonnements alors que le besoin de coordination, de collaboration et de travail en réseaux ou filières est de plus en plus nécessaire, tant en interne (coopération interservices) qu’en externe (médecins et paramédicaux libéraux, autres acteurs du territoire…). Ces changements, auxquels certains n’ont pas toujours été préparés ou formés, peuvent aussi multiplier les zones de risques. D’autres facteurs sont enfin liés aux évolutions structurelles de l’activité.

« Par exemple, à l’hôpital, il faut toujours composer entre les délais contraints, l’accélération des rythmes de travail liée à la forte diminution de la durée moyenne de séjours des patients, l’évolution des techniques qui accélèrent les temps de réponse, les exigences économiques et parfois celles des patients, des résidents ou des familles. »

Est-ce qu’il y a plus de conflits qu’avant ?

J’échange souvent avec Edouard Couty, mon prédécesseur, et d’autres acteurs de la médiation ou de la conciliation à ce sujet. Nous partageons le sentiment qu’il n’y a pas forcément plus de conflits aujourd’hui, mais que le seuil de tolérance s’est fortement réduit. Auparavant, pour schématiser, on acceptait sûrement beaucoup plus de choses qu’on n’en accepte à l’heure actuelle. La parole s’est libérée, dans ce domaine comme dans d’autres, et c’est tant mieux ! Cela a trait à des évolutions sociétales mais aussi aux nouveaux cadres et outils qui ont été mis en place. Les nouvelles générations notamment souhaitent travailler autrement, en amplitude et en intensité. Pour autant elles se disent aussi engagées. Elles attendent des institutions, comme l’hôpital, la garantie d’un certain équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Ce qui contrevient au cadre convenu est donc moins accepté et peut être source de conflit au travail. Il est vrai que jurisprudence et réglementation ont également fait évoluer les mentalités. La sécurité et la protection de la santé physique et mentale des salariés sont inscrites dans le code du travail.

Et certaines décisions récentes sont allées plus loin, comme l’arrêt de la Cour de la Cassation d’octobre 2021 qui a tranché clairement le sujet avec une jurisprudence importante : « Un employeur qui a laissé sinstaller une situation de conflit au travail, sans y apporter aucun remède a manqué à ses obligations contractuelles ». Il y a donc nécessité de mettre en place des dispositifs permettant de prévenir autant que possible les risques de dégradation des relations et la conflictualité en milieu professionnel pour participer à la promotion de la qualité de vie et des relations au travail en contribuant à la lutte contre les risques psychosociaux. Les instruments de conciliation et de médiation se sont structurés dans le même temps et font partie –  depuis moins de quatre ans –  des outils à la disposition des employeurs et des professionnels en cas de conflit dans le secteur sanitaire, social et médico-social public.

« Le processus de règlement amiable des conflits débute obligatoirement au cœur des établissements qui sont autonomes sur le plan administratif, financier et juridique. C’est la compétence et donc la responsabilité « employeur » qui est mobilisée au travers du dispositif de conciliation locale. Si la démarche n’a pas abouti, quelle qu’en soit la raison, il est possible de saisir l’une des 10 médiations régionales ou interrégionales selon son territoire d’exercice avec, en tant que de besoin, le relai de la médiation nationale. »

Pouvez-vous nous rappeler la différence entre la conciliation et la médiation ?

La conciliation est l’un des deux modes opératoires de résolution amiable des conflits. Dans la fonction publique hospitalière, il s’agit d’un processus interne aux établissement qui vise à régler un différend entre deux professionnels, un professionnel et sa hiérarchie ou des groupes professionnels entre eux grâce à l’intervention d’un conciliateur interne à l’établissement qui sera formé pour proposer des solutions et trouver un arrangement ou un compromis.  

La médiation est le deuxième et dernier niveau de règlement amiable des conflits. Il s’agit d’un processus externe à l’établissement qui peut être activé si la conciliation n’a pas abouti. Les médiateurs (souvent co-médiateurs) sont en quasi-totalité aujourd’hui titulaires d’un diplôme de médiateur. Ils sont chargés d’accompagner les professionnels en conflit pour les aider à trouver en eux-mêmes, volontairement, des solutions à leur litige et parvenir à un accord, en dehors de toute procédure juridictionnelle. C’est un processus dit « gagnant-gagnant » qui s’appuie sur six grands principes qui s’imposent à tous les médiateurs : liberté, confidentialité, indépendance, neutralité, impartialité et équité. Le médiateur est donc à l’équilibre des parties en opposition pour essayer de les faire cheminer l’une vers l’autre afin de restaurer leur relation, parfois perdue depuis longtemps. Il s’agit d’une prestation gratuite pour tous les établissements et les professionnels demandeurs.

Comment cela fonctionne ?

Le processus de règlement amiable des conflits débute obligatoirement au cœur des établissements qui sont autonomes sur le plan administratif, financier et juridique. C’est la compétence et donc la responsabilité « employeur » qui est mobilisée au travers du dispositif de conciliation locale. Si la démarche n’a pas abouti, quelle qu’en soit la raison, il est possible de saisir l’une des 10 médiations régionales ou interrégionales selon son territoire d’exercice avec, en tant que de besoin, le relai de la médiation nationale. 

Le dispositif national de médiation spécifique au champ de la fonction publique hospitalière, que je pilote depuis octobre 2021, avec le concours du Docteur Claudine Chrétien, compte 118 membres, dont 60 % sont en activité professionnelle et les autres retraités, après avoir souvent occupé des postes à responsabilité.

Le niveau régional/interrégional peut être saisi par les parties elles-mêmes, la gouvernance  de l’établissement (directeur/ président de CME/ Doyen), le DGARS (secteur sanitaire et médico-social), le préfet de département (secteur social) ou la directrice générale du Centre National de Gestion (CNG) des praticiens et des directeurs.  Le niveau national de ce dispositif peut, quant à lui, être mobilisé directement par les ministres de la santé/des affaires sociales, par la directrice générale du CNG ou par les médiateurs régionaux/interrégionaux. Dans la continuité d’Edouard Couty, premier Médiateur national nommé – qui a assumé seul au départ plus de 200 missions entre 2017 et 2020, la résolution des conflits par le processus de médiation demeure notre activité organique, mais notre champ d’action s’est considérablement étendu depuis le  décret du 28 avril 2023, avec l’introduction de nouveaux publics (étudiants en santé paramédicaux) et de nouvelles missions, telles que l’appui, le conseil et l’accompagnement à visée de prévention ou de projet au profit des institutions et des professionnels. De nombreux membres de l’équipe de médiation sont également associés à la formation à la conciliation et à la médiation et des partenariats ont pu être conclus avec des acteurs majeurs du système de santé (FHF, EHESP, ANFH, ANAP, HAS, etc.)

« Vous devez d’abord vous adresser au dispositif de conciliation locale afin d’exposer votre situation et de solliciter une intervention. Si le dispositif n’est pas encore en place dans votre établissement, il convient de vous adresser à votre direction des affaires médicales ou à votre direction des ressources humaines selon votre statut. »

Quels sont les premiers résultats ?

Le décret fondateur de la médiation et de la conciliation date du 28 août 2019, soit quelques mois avant l’arrivée de la crise sanitaire. C’est un double dispositif très récent mais la pandémie a naturellement retardé l’obligation pour les établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux de mettre en place un dispositif de conciliation locale car ils étaient fortement mobilisés par la gestion de la pandémie. C’est la raison pour laquelle le dispositif national de médiation peut venir en appui, depuis 2023, pour les aider à structurer cette démarche interne. En 2021, le dispositif de médiation a fait l’objet de 159 saisines sur le plan régional/interrégional et national. Il prend progressivement de l’ampleur avec le déploiement des missions confiées et la mobilisation des médiateurs régionaux/interrégionaux pour aller à la rencontre des acteurs institutionnels et professionnels dans les territoires. Nous travaillons également sur la mise en oeuvre d’un plan national d’information et de communication qui sera relayé en régions/interrégions pour mieux faire connaître ce double dispositif de règlement amiable des conflits.

Je suis un professionnel de santé, confronté à une situation de conflit à l’hôpital : que dois-je faire et dans quel ordre ?

Vous devez d’abord vous adresser au dispositif de conciliation locale afin d’exposer votre situation et de solliciter une intervention. Si le dispositif n’est pas encore en place dans votre établissement, il convient de vous adresser à votre direction des affaires médicales ou à votre direction des ressources humaines selon votre statut. Si la conciliation n’aboutit pas, quelle qu’en soit la raison, vous pouvez solliciter directement votre médiation régionale/interrégionale de rattachement, en identifiant la ou les personnes avec lesquelles vous êtes en difficulté relationnelle voire de conflit.